vendredi 5 août 2022

Espace temps


Je dors dans un pavillon anglais

du quartier chinois

de la capitale Irlandaise


Je lis un poète canadien

tandis que mon esprit bute sur l’accent des indiens

et les heurts d’un billard


Hier dans un wagon d’Heuston station

j’ai quitté Mario

Un allemand qui travaille en suisse.


Nous nous sommes – oui – rencontrés :

Kilkenny 

même auberge 

Chambre 10

L’un suivait l’autre à la réception.


Trois soirs de suite avec la bière du cru

nous avons 

bâtons rompus

dansé sur les silences

compté les flûtes 

fait trinqué nos accents

questionné les distances


pris les pubs à témoin.


Il y a quelque chose avec les voyageurs

un truc qui erre dans les hostels


et j’ai confié – d’un château l’autre 

Kédange

Knocktopher

Kan***urf

Mon enfance en Moselle

Mes vingt ans en Irlande

Mon futur en Thuringe


Et donc hier avant le quai :

le poids des bagages

l’embarras des adieux

dont on ne s’encombre pas parce que –

(Le coup du sparadrap

un truc avec les poils

et ça tire dans les yeux – )


faisons ça vite.


On a dit : oui, j’espère

si tu passes


On a dit quand tu veux

On a dit c’est pas loin


On a dit – (et c’était sincère)

bien qu’on sache, je crois qu’on sait –


Mais il y a quelque chose avec les voyageurs

un truc qui erre dans les hostels

des souffles qui se fondent et qui surprennent.


Comme ces lambeaux d’allemand qui ponctuent mon anglais

et qui ont tant fait rire Mario

jeudi 5 mai 2022

Veilleuse


Sur un lacet de route

bottes mottées de boues

Au virage de ma vie, je cherchais la lumière


Le sol était instable et les cailloux glissaient

et mon pied droit tâtait

l'endroit du pas futur


Et puis vint l'étincelle


Sans doute était-ce

le clou de mes semelles

qui avait percuté 

la lame d'un silex 


Ou qu'elle attendait là,

patiente  

dans l'ombre du soleil

l'amadou de mon corps 


Je suis celui qui garde

Sous son sternum instable

comme une cage à feu


Genèse d'un brasier

qui scintille à la ronde


Parfois quelqu'un l'effleure,

la nourrit de son être

Et je l'offre à celui qui vient s'y réchauffer


Bien sûr 

juste une pluie qui bat

et la flamme maigrit


Oh si souvent je l'ai 

sentie qui chancelait


Mais sous la braise 

couve la braise


Et il suffit d'un souffle pour que demain encore

Au sein de tout mon corps


Tout

flambe.


mercredi 4 mai 2022

UU


De mon visage d'enfant,

ma bouche a gardé deux vestiges :

Le sceau des incisives 

qui jadis

s'accoudaient au monde

depuis ma lèvre basse.


Et bien que si tôt,

il fût déjà tard :

on les condamna

papillons et ronces

à chasser le seuil

pour fermer la porte


Couvre-feu.


Puis j'ai perdu les joues

Puis j'ai perdu la peau


Puis j'ai perdu encore


et j'ai perdu la langue


Mais ce soir

en visitant ma lèvre

j’ai délogé de leurs ornières

des mots cachés

comme en cavale


Et maigres, si maigres ! 


Juste de quoi 

faire un poème

jeudi 28 avril 2022

Bora


Des fjords gaéliques 

où la mer patiemment lime

les bras de son étau de pierre


A Venise l'archipel

où l'on voit quelques fois l'an 

l'insurrection qui monte 

aqua alta

aqua alta

et va, et va via

l'eau qui déborde et s'émancipe 

pour tendre au ciel de Vénétie

un miroir à son échelle


J'ai souvent jumelé mon âme

en spectateur des éléments.


Mais ce jour de Trieste où la Bora faisait ses plaintes

en s'immisçant 

jointures 

fenêtres et plinthes

à mon chevet,

Je saisissais l'invitation :

"Cédons la chambre, 

coulons la rue : 

es-tu voyeur ?"


Et tout en bas, 

tout inconstant,

son corps d'amant venu de loin

faisait vibrer sous les caresses

une étendue de peau marine.


Nous partagions les frissons

Nous pouvions partager le sel.